Harvard sous pression : quand l’administration Trump déclare la guerre aux étudiants internationaux

Le jeudi 22 mai 2025, une décision brutale du Département de la Sécurité intérieure (DHS) américain a plongé l’Université Harvard dans une tourmente sans précédent : l’institution se voit retirer son autorisation d’accueillir des étudiants internationaux. Cette mesure, qualifiée d’« illégale et sans fondement » par l’université, menace directement l’avenir de plus de 6 700 étudiants venus des quatre coins du monde. Elle s’inscrit dans une offensive plus large de l’administration Trump contre les universités perçues comme réfractaires à sa ligne idéologique. Harvard, figure de proue du système académique américain, est aujourd’hui au cœur d’un affrontement politique majeur qui soulève des questions fondamentales sur l’indépendance universitaire, les droits constitutionnels et l’instrumentalisation des politiques migratoires.

Une décision aux répercussions immédiates et dévastatrices

L’annonce de la révocation du certificat SEVP (Student and Exchange Visitor Program) a été reçue comme un choc à Cambridge. Elle signifie non seulement que Harvard ne peut plus accueillir de nouveaux étudiants internationaux, mais aussi que ceux déjà présents doivent être transférés vers d’autres établissements ou quitter le territoire. La justification avancée par la secrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, repose sur le refus de l’université de remettre les dossiers de conduite de ses étudiants étrangers, incluant des documents, images et enregistrements de toute activité jugée « illégale » ou « dangereuse ».

La demande, d’une ampleur inédite, exige la transmission de cinq années de données, incluant notamment des vidéos de manifestations pro-palestiniennes. Le délai de 72 heures imposé pour se conformer à cette injonction rend la tâche irréaliste. Pour beaucoup d’étudiants, le rêve américain se transforme en cauchemar bureaucratique. Jared, un jeune Néo-Zélandais fraîchement admis en sociologie, parle d’un « heart drop moment » en apprenant la nouvelle : à quelques mois de son départ, son avenir est suspendu à une décision administrative aussi soudaine que radicale.

La situation des étudiants en cours de cursus n’est guère plus enviable. Karl Molden, autrichien, en déplacement à l’étranger, ignore s’il pourra rentrer à Boston. Pour les centaines de doctorants, chercheurs et stagiaires internationaux, les questions se multiplient : visas, bourses, travaux en laboratoire, projets de thèse. C’est tout un pan de la vie universitaire qui vacille.

Le conflit Trump–Harvard : une escalade politique à visée exemplaire

Une volonté de contrôle idéologique assumée

Depuis plusieurs mois, Harvard se trouve dans le viseur de l’administration Trump. Accusée de tolérer des discours jugés antisémites, de favoriser les militants pro-Hamas, et de maintenir une politique de diversité qualifiée de « raciste », l’université a été l’objet d’une série de demandes de réformes drastiques. L’audit idéologique exigé par la Maison Blanche, portant sur les opinions supposées des étudiants et professeurs, heurte de plein fouet les principes d’autonomie académique.

Des changements ont été imposés – comme le renommage de l’Office of Diversity, Equity and Inclusion 1 – mais ils n’ont pas suffi à apaiser les tensions. Le blocage de 2,2 milliards de dollars de subventions fédérales et la menace de retrait du statut d’organisme à but non lucratif montrent à quel point l’exécutif veut faire plier l’université. Le message est clair : toute institution publique ou privée doit aligner ses pratiques sur les priorités idéologiques de l’administration, au risque de sanctions exemplaires.

Un précédent dangereux pour l’ensemble du monde universitaire

Harvard n’est pas seule. D’autres universités, notamment Columbia, Stanford et Berkeley, ont également reçu des injonctions similaires. Mais c’est Harvard qui est choisie comme exemple, en raison de son prestige, de sa visibilité mondiale, et de sa tradition d’indépendance. En s’attaquant frontalement à cette institution, l’administration Trump cherche à intimider l’ensemble du secteur universitaire américain et à imposer un rapport de force durable.

Les professeurs s’inquiètent déjà de l’impact sur la recherche et l’innovation. « De nombreux laboratoires vont se vider », prévient un chercheur. Jason Furman, professeur d’économie et ancien conseiller de Barack Obama, estime que cette décision est « horrible à tous les niveaux ». Pour lui, l’enseignement supérieur est l’un des grands atouts diplomatiques et économiques des États-Unis. En s’en prenant aux étudiants étrangers, l’Amérique mine sa propre influence.

Les voix critiques dénoncent également une forme de harcèlement ciblé. Le fait que les étudiants musulmans ou pro-palestiniens soient au cœur des accusations, tandis que les revendications des étudiants juifs soient mises en avant de manière unilatérale, soulève des accusations de traitement discriminatoire.

Conséquences humaines, académiques et diplomatiques

Le choc humain est immense. Pour des milliers de jeunes, ce sont des années de sacrifices, de travail acharné et d’espérances qui sont brutalement mises en péril. La communauté internationale réagit avec consternation. L’ambassadeur d’Australie aux États-Unis, Kevin Rudd, a immédiatement proposé une assistance consulaire aux ressortissants australiens concernés. Plusieurs gouvernements, de l’Union européenne à la Nouvelle-Zélande, étudient les moyens de venir en aide à leurs étudiants.

Au sein même de Harvard, la mobilisation est générale. L’American Association of University Professors 2, dans sa section locale, parle d’« assaut inconstitutionnel » contre les étudiants internationaux. Larry Summers, ancien président de l’université, dénonce une mesure prise « sans procédure régulière » et qui « pénalise ceux qui ne sont en rien responsables ». De nombreux enseignants expriment leur tristesse, leur colère et leur détermination à défendre l’intégrité intellectuelle et la diversité de leur institution.

Harvard a d’ores et déjà engagé une procédure judiciaire contre la suspension des fonds et prépare une contre-offensive légale face à la révocation de la certification SEVP. Des recours collectifs et des actions coordonnées avec d’autres universités sont également envisagés. L’enjeu est de taille : au-delà des frontières de Cambridge, c’est tout le modèle d’excellence académique américain qui est en jeu.

Alors que la campagne présidentielle bat son plein, la question de l’avenir des universités pourrait bien s’inviter au cœur du débat public. Le sort réservé aux étudiants internationaux à Harvard dépasse le cadre d’un simple différend administratif. Il symbolise une fracture profonde sur ce que devrait être l’université dans une démocratie : un lieu de savoir libre, ouvert au monde, et non une extension de l’appareil d’État.

  1. Office of Diversity, Equity and Inclusion à HARVARD : https://oedib.fas.harvard.edu/ ↩︎
  2. American Association of University Professors : https://www.aaup.org/ ↩︎