Tranches de vie

Marie a trouvé sa voie !

Marie s’est toujours occupée des autres. Petite, ses parents ont divorcé et elle a alors pris sous son aile ses frères et sœurs. Ce n’était pas toujours facile d’être disponible pour les autres et de remplacer une mère qui travaille loin et qui ne peut en aucun cas perdre son emploi. Marie a jonglé avec son emploi du temps et elle ne s’est pas beaucoup consacrée à elle-même.

Elle a néanmoins suivi une scolarité normale, même si le lycée lui semble parfois très éloigné de son quotidien d’aînée responsable. Elle ne connaît pas la légèreté de ses amies et ne parvient pas toujours à s’intéresser à leurs petits soucis qui, elle le sait, trouveront toujours une issue favorable.

Elle a vite compris qu’elle devrait choisir de poursuivre des études relativement courtes et que sa famille ne pourrait pas prendre en charge ses frais de scolarité. D’autres frères et sœurs la suivent et certains montrent déjà de bonnes dispositions pour les études.

Marie sait qu’elle aimerait se diriger vers un métier du social ; elle a le sens de l’écoute et on aime lui raconter ses malheurs. Elle est ouverte et elle attire les confidences. Plusieurs possibilités s’offrent à elle mais elle ne se voit pas rejoindre une université pour suivre des études de psychologie, par exemple ; elle a besoin de concret et d’être au cœur des choses et des évènements.

Raisonnable et mature, elle a pesé le pour et le contre. Le métier d’infirmière colle à ses critères, même si elle ne l’avait pas envisagé de prime abord. Si elle réussit le concours d’entrée dans une école d’infirmières, elle pourra quitter l’appartement familial et s’assumer financièrement.

Elle a tout organisé, comme elle en a l’habitude et elle s’est renseignée sur les contraintes d’un métier qui, s’il offre des débouchés, n’en demande pas moins d’avoir une bonne résistance physique et psychique et un esprit scientifique certain.

Elle aurait préféré être sage-femme mais ses résultats ne lui permettent pas d’envisager de prendre cette direction. Elle ne peut pas prendre de risques et elle veut se construire un avenir solide.

Elle sait qu’elle pourra toujours évoluer ensuite et elle se voit bien au chevet des malades. Un job d’été dans un hôpital l’a confortée dans un choix qui ne lui avait pas, au départ, sauté aux yeux.

Simon sera musicien

Simon a dix-huit ans et le lycée, ça n’a jamais été sa tasse de thé. Il sait comment passer à travers les mailles du filet et jongler avec les devoirs escamotés, les retards des matins brumeux, les absences pour motifs très très personnels.

En cours, il n’est pas bruyant. Non, il est plutôt aux abonnés absents et seuls quelques sursauts soudains troublent l’atonie de sa présence bouclée.

Simon a des copains, beaucoup de copains et des petites amies, plusieurs. Il est plutôt vif, tourné vers le monde, sensible aux injustices et aux horreurs qui secouent chaque jour nos vies chloroformées. Il vit dans un monde à lui et il surfe sur sa vague avec délice.

Ses parents, divorcés, sont inquiets ; il va sûrement rater son Bac et son orientation professionnelle n’est pas jouée d’avance ; elle va vite devenir un thème d’actualité.

Cependant, Simon a une passion qui le tient au corps et à cœur. Il est musicien, il compose des musiques, c’est un bon guitariste, il a son groupe. Il prend des cours, il croque les profs les uns après les autres et fait preuve d’une boulimie absolue.

Mais voilà, comment enfermer son enfant dans une passion aussi exigeante, comment savoir s’il est suffisamment doué pour sortir du lot, s’il est suffisamment armé pour supporter les intermittences du métier, les traversées du désert, les fins de mois qui pleurent ?

Oui mais voilà, Simon pourra-il être heureux, accompli, s’il doit devenir ce qu’il ne sera jamais, un salarié à horaires fixes, qui bousculera autrui si besoin est, qui fera l’ascension de l’organigramme maison entouré de ses fidèles sherpas, qui se bouchera les oreilles à la moindre fausse note ?

Vrai dilemme pour des parents aimants !

Pas vraiment un dilemme pour Simon qui finalement a eu son Bac, qui a travaillé pendant les vacances, qui en l’espace d’un concert a su convaincre ses parents qu’on ne brise pas un talent et un vrai destin.

Simon a rejoint depuis la rentrée une école de musique où il a vite pris conscience qu’un don se dope à la persévérance et au travail acharné.

Beau pari et bon vent à Simon qui a su tailler sa route !

Pour Carole, ce n’est plus du tout ça !!!

Elle ne sait toujours pas comment elle en est arrivée là !

Elle a été poussée par les évènements, la vie, les contraintes personnelles, l’entrée dans le monde des adultes avec ses exigences, etc. Les mailles du filet se sont resserrées les unes après les autres et voilà, maintenant elle a un statut : elle est assistante de direction ou commerciale, un truc dans le genre. Elle se lève le matin, elle est performante, reconnue, opérationnelle, relationnelle, professionnelle, sensationnelle, mais… pas ELLE.

Un jour, une minuscule craquelure est apparue à la surface du tableau, fine, imperceptible, mais indélébile. Elle s’est dit qu’elle s’était perdue de vue, qu’elle n’était pas à sa place, qu’il y avait imposture, qu’elle se leurrait, qu’elle faisait fausse route. Elle préférait les routes de campagne aux autoroutes de la réussite. Elle s’est arrêtée au péage, rien ne serait plus comme avant.

Le doute s’est insinué lentement, il a fait son trou, a gagné du terrain et soudain, il était chez lui, un squatter, un intrus qui se permettait tout. Il ne mangeait pas à heures fixes, il criait famine tout le temps, quand elle cuisinait, quand elle bricolait, quand elle répondait au téléphone, quand elle payait ses factures.

Elle avait la tête en marmelade et elle dut pactiser avec ce locataire indélicat qui la harcelait sans cesse de SMS dérangeants.

Il fallait tout mettre sur la table et faire les comptes.

Elle aimait bricoler, sa maison était superbe, elle pourrait se recycler, changer de cap et devenir carreleur-mosaïste. Pourquoi pas ? Elle en était capable, elle avait la vitalité pour.

Mais c’était sans compter sur un petit détail : on n’échappe pas à soi-même. En fait, la rupture était vraiment consommée et elle creusait ses galeries en silence. En effet, depuis des années, Carole mène une double vie, depuis ce jour où happée par une affiche, elle a rejoint l’univers du reiki. Elle s’initie en parallèle à cette discipline. Elle a un don ! Elle le sait, la qualité de ses séances le prouve, la satisfaction de ses amis qui se prêtent à l’expérience aussi.

Quand on sait ce que l’on veut être, tout reste à faire et il faut parfois vivre à contretemps, à contre-pied. Concilier alimentaire et réalisation personnelle, dilemme extrême !

Les traites continueront à tomber, les enfants à consommer, les frigos à se vider, les hivers à glacer, le prix de l’essence à grimper ! Il lui va donc falloir dans un premier temps trouver le bon compromis, tracer sa voie pour un jour accéder au luxe suprême : vivre en accord avec soi-même et faire le deuil de certains oripeaux qui collent à la peau.